UNE OUVERTURE AU GIBIER D'EAU DONT JE ME SOUVIENDRAI

 

Pour la première fois, je ne suis pas motivé par cette ouverture au marais du 21 août 2012. La chasse au gibier d’eau a toujours été ma grande passion et je dispose d’un territoire d’environ 12 hectares pour la pratiquer. C’est une ancienne tourbière transformée en marais et en bois, située dans le centre Manche. De la fin mai à la fin juillet, il a plu quasiment tous les jours et les récoltes ne sont pas encore terminées. De ce fait l’entrepreneur qui assure le fauchage une fois par an, n’est pas disponible, et le terrain n’est pas praticable. De plus, Flower, ma petite  chienne labrador de deux ans et demi qui a remplacé mon vieux compagnon Olaf, et qui promet de lui succéder avec autant de bonheur, est gestante. Sa portée est prévue début septembre. Je pense donc me contenter de l’ouverture en terre avec Charli, mon épagneul breton.

Loïc, un ami  chasseur qui a l’âge d’être mon fils, n’a pas où aller chasser. Pour lui faire plaisir, et malgré les mauvaises conditions, je décide que nous irions ensembles.

Après négociations, ma femme accepte que j’emmène avec nous, son chien Artuss. Mon épouse, qui n’est pas chasseur, pratique le field trial avec nos labradors. Elle dit que sa passion pour le travail du chien est née des histoires racontées entre amis au retour de nos journées de chasse. Le plaisir que prennent nos retrievers à l’entraînement a fait le reste.

Artuss, qui va avoir sept ans en octobre, est champion de travail et champion beau et bon à l’anglaise 2010. Je ne l’ai jamais emmené  à la chasse, car son énergie a toujours été réservée aux concours.

Ce matin de l’ouverture, je me suis levé à quatre heures. J’ai soigné mes chiens, et pris un solide petit déjeuner.

Je suis passé prendre Loïc. Son épouse, qui a son permis, nous accompagne.

Nous sommes arrivés à destination peu avant 6 heures. Cette terre consacrée uniquement à la chasse depuis plus de dix ans, a été rendue à la nature, et ressemble à une forêt primaire. Les aulnes et les saules poussent de manière anarchique au milieu des joncs et des broussailles. Le ciel est obscur, et les arbres tous tordus ont des allures inquiétantes.

Comme je le craignais, les joncs sont denses et très hauts, et seul un étroit chemin nous permet d’accéder au plan d’eau. De place en place, des ronciers envahissent l’espace.  Malgré une surface relative,  on a rapidement  l’impression d’être isolé de toute civilisation, et de risquer de se perdre dans cet enchevêtrement de végétation.

A mon grand soulagement, le terrain n’est pas inondé. A proximité de la mare, envahie par les herbes, des canards prennent leur envol, mais il fait encore trop sombre pour que nous puissions les tirer.

Nous sommes arrivés à la cabane que j’ai montée près du plan d’eau. Ce n’est pas un gabion (nom de la hutte dans notre région) car nous n’avons plus l’autorisation d’en implanter. Le niveau d’eau est étonnamment bas, compte tenu des pluies diluviennes que nous avons eues. Nous avons entendu les premiers coups de fusil,  au levé du jour, environ un quart d’heure plus tard.

Artuss tout au long du chemin a marché à mon pied. Maintenant il est assis sagement à côté de moi, Je n’ais pas à m’en occuper.

Vers 6 heures et demi, un premier canard passe à portée, je le tire, mai à priori, il est simplement désailé. Il tombe dans un champ de maïs à environ 100 m. Compte tenu de la hauteur des herbes, Artuss ne peut  rien voir. Je l’envoie à l’aveugle. Il faut qu’il traverse un large fossé d’eau bordé de roseaux, puis un herbage. Lorsqu’ il  m’interroge,  je lui  fais  signe d’aller devant.  Arrivé au maïs, je lui dis cherche. Il s’enfonce entre les plants, et après deux ou trois minutes de quête il revient avec le canard bien vivant.

Pendant ce temps, Loïc en a tiré un qui est tombé dans un grand roncier à une centaine de mètres. Je n’envoie pas mon chien, car cette zone est habitée par des vipères, et éventuellement des sangliers. Mieux vaut perdre un gibier que risquer la vie de son compagnon.

Un quart d’heure après, un canard arrive vers moi. Je tire, il tombe dans l’épaisseur des joncs en bordure du plan d’eau. J’indique la direction à Artuss, qui fait un aller et retour et me rapporte l’oiseau.

Peu de temps après, un autre semble vouloir se poser sur l’eau. Un coup de 4 l’arrête net. J’envoie Artuss, et en passant, il lève une dizaine de colverts dont on ne soupçonnait pas la présence. Imperturbable, il continue la recherche demandée, et Loïc et moi, surpris, réussissons quand même à faire tomber deux des oiseaux en vol.

Au retour d’Artuss, je l’envoie chercher les deux oiseaux tirés, qu’il ramène l’un après l’autre.

Nous voyons encore passer une sarcelle, quelques colverts et bécassines, mais tous hors de portée. Ils vont se poser dans les terres de la société voisine qui  fera son ouverture dimanche prochain.

Il est plus de huit heures, notre tableau est suffisant, nous décidons de rentrer prendre un bon café. Mon chien de couleur sable est noir de vase.

Nous sommes tous les trois impressionnés par le travail d’Artuss. Nous le savions excellent en field trial, mais il nous a prouvé qu’il est aussi un grand chien de chasse.

Cette ouverture qui s’annonçait mal, m’a rempli de joie, et restera dans mes souvenirs. Il s’avère que le  terrain laissé aux caprices de la nature semble beaucoup plus attractif pour les anatidés, car les années précédentes, j’en voyais beaucoup passer mais la plupart hors de portée. Par contre, dans de telles conditions, il est vraiment indispensable d’avoir un bon retriever.

                                                                                                    Patrick GLASTRE